A telle heure trépassée
L’éblouissement
Au destin m’a dérobée
Interroger la perte :
voir resurgir
l’âpreté de grandir
c’était t’en souviens-tu
laisser en soi le temps creuser le lit de nuits
avides
la sculpture du vide
modeler monacal le volume d’absence
dont la forme en chacun intimement dessine
le contour(nement) cru de ses propres carences
vois comme ici la ligne embrasse à vif
la chute
matière-pesanteur
torrent précipité de la source éternelle
dans le fleuve où jamais on ne baigne deux fois
sa soif
ni même une : on se noie
dans la fuite à l’envi
n’ayant fermé ses mains sur la joie sans partage
qu’au temps d’avant le temps, qu’au plein d’avant les âges
(ironie : l’amnésie l’aphasie la folie
où se défont les jours
seules le commémorent)
regarde comme autour la surface s’entaille
de nervures regrets et de griffes colères
bas-reliefs d’une chair qui à céder renâcle
et veut zébrer le vide
de larmes et de mots et de cris et de corps
de chutes et de sciures
– ô griffes et nervures
stèles expiatoires !
fidèles sur des routes ensablées d’oubli
or si pour témoigner comme vous de la perte
je sonde les voix creuses des orgues anciennes
les chantres de ma peine prophète anathème
je les trouve
muettes.
S’effritant ma mémoire
petit à petit
les a comblées de terre
et le Vent qui passait ne trouvant à abattre
rempart ni forteresse
donna sans y penser une goutte et trois graines
samares de l’érable de l’orme et du frêne
ce fut tout
là où se dresse l’Arbre
lumière faite chair
colonne entre les mondes vaisseau d’outre-ciel
la perte enfin se perd
si le grain de blé tombé en terre ne meurt
il reste seul
Contribution à l’Agenda Ironique orchestré pour ce mois de juillet par Joséphine Lanesem. Le très beau sujet, La Perte en une phrase, est à lire sur son blog. Vous y gagnerez au passage un poème d’Elizabeth Bishop, One art.
Magnifique !!! Les premières strophes, jusqu’à “commémorent”, disent la perte telle que je l’ai connue, en suivent délicatement les délinéaments (plus besoin de participer 😊), et le reste me ravit tout autant. C’est juste, poignant et en même temps d’un grand raffinement, ce qui n’est pas si courant. J’ai apprécié la référence aux nervures et aux entailles 🙂
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😊 merci à toi d’avoir proposé un si beau sujet. J’espère bien que tu y répondras toi aussi !
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Ou comment la perte ainsi funambule sur la phrase donne tout à gagner. Merci , c’est si beau. La mémoire comblée de terre et de graines à germer… Je t’entends, éblouie.
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😊 Il m’a fallu perdre un peu la mémoire pour me délivrer de la perte. Lutter contre le temps, accumuler des sacs de souvenirs impossibles à trainer, ne mène nulle part.
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Quel poème Ma Quyên! Ton Arbre tendant ses branches d’orient en occident me soulève de terre.
Et moi, pour ne plus rien perdre je veux apprendre à tout donner!
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Merci Nanou ! Ca y est, le poème a trouvé son point d’équilibre, je cesse de l’ennuyer. 🙂 C’est un peu l’idée. Ce qu’on donne n’est pas perdu. Mais, tu le dis bien, donner s’apprend et non sans douleur.
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Très belle maxime ! Si tu veux participer, Jehanne, on publiera ton texte pour toi.
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C’est gentil Joséphine, mais je ne crois pas que je vais me lancer. Je me contenterai de savourer vos textes à tous, certaine de trouver là nourriture, beauté et exercices intellectuels stimulants!
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oh, si beau qu’il m’est difficile de l’exprimer autrement… Merci pour tout ce que cela m’évoque…
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Merci Laurence ! Ton texte joliment sensible parle du même mouvement, je crois.
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oui, on y retrouve des traces semblables 🙂
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