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De retour des Alpes. Aurevoir, glaciers étincelants au soleil du matin, sombres sommets dont le manteau de nuage et de brume rend la présence plus saisissante encore.

J’ai déjà passé un été près du Lautaret il y a 16 ans. J’avais 17 ans, et à la faveur de la lecture du Seigneur des Anneaux, il me semblait être passée dans un autre monde ou, plus exactement, être parvenue dans une région de frontière entre les mondes. La montagne était enchantée :  chaque souffle de vent dans les frondaisons, chaque reflet jouant parmi les feuilles ne demandait qu’à être déchiffré, et portait le message d’un esprit dont la présence faisait résonner toute chose autour de moi, pierre, plante, lumière. J’avais connu les Alpes en hiver pour être allée au ski un certain nombre de fois, mais je faisais pour la première fois l’expérience de la montagne en été. Comment la décrire ? Me voici comme toujours confrontée à la pauvreté de mes mots.

Il y avait d’abord la présence écrasante des sommets, cette exaltation mêlée d’oppression qui transit le corps devant la majesté des pics, et l’aura stellaire des glaciers. Et puis les sources courant sous les mélèzes, le chant profond des torrents, la présence fée de l’eau qui faisait le pont entre le monde minéral des sommets et le règne luxuriant de la végétation – les forêts d’épineux dressés vers le soleil, les massifs d’aulnes verts, la multitude des fleurs sauvages, les rosettes des joubarbes entre les rocs, le velours des pelouses alpines. Et encore, à une altitude moindre, les sentiers évoquant les Alpes du Sud, aux odeurs de Provence, évoquant le pays d’Ithilien, craquant de soleil.  Et aussi, la magie des noms – Valfroide, le Glacier de l’Homme, le Doigt de Dieu – hommage de l’homme à un univers qui le baigne de beauté et lui parle des Commencements tout en lui imprimant dans le corps le sentiment de son insignifiance.  Ces souvenirs, visions et sensations, ne me sont pas sortis de la tête, et il me fallait y revenir.

Il me semble que si je vivais à la montagne, je saurais quoi faire de ma vie, ou plutôt que je ne m’inquièterais plus de ce que je devrais en faire, que toute considération d’orgueil ou de réussite sociale perdrait naturellement son apparence de sens et son masque de nécessité. La domination absolue de la nature dans un tel environnement remet à leur place les éructations de nos misérables egos. De fait, aujourd’hui compte à peine plus qu’hier et peut déjà rejoindre le cortège des siècles et des millénaires engloutis dans les strates qui dorment au coeur des roches. Et en même temps, bon sang, on se sent vivant – si vivant ! Tout le corps tremble devant tant de beauté –  si hier et demain ne comptent pas, c’est que maintenant déborde de beauté surabondante, et, aussi bizarre ou illogique que cela paraisse, suffoque de gratitude. Même la gamine sans Dieu que j’étais en pleurait de gratitude. Splendeur du monde absurde, peut-être, mais comment alors se fait-il que l’on se découvre une âme dont le cri dit merci ?

5 thoughts on “De retour des montagnes

  1. Quelle coïncidence, je pensais ce matin même aux majestueuses montagnes de Châtel que je n’ai pas revues depuis 2 ans. L’émerveillement que me procurent ces paysages grandioses et les millénaires que ces montagnes ont vus passer me fait me sentir si petite et mon passage dans ce monde si court que je me dois d’être reconnaissante pour tout ce que la vie m’apporte.

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  2. Exactement ! Il faudra qu’on se fasse ces vacances collectives a la montagne un de ces quatre, hein ! Avec maris, marmaille et tout le tralala. 😉

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  3. Et oui, il faudrait que l’on y arrive !!! Allez, on se motive pour s’organiser ça 🙂 Peut-être l’été prochain ? Il y a de grande chance que l’on y passe quelques semaines en août…

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  4. “Il me semble que si je vivais à la montagne, je saurais quoi faire de ma vie, ou plutôt que je ne m’inquièterais plus de ce que je devrais en faire”.
    C’est exactement ce que j’ai ressenti cet été à Saint Clément, qui n’avait de clément que le nom.

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