Par ma fenêtre se déverse le toit de mon voisin. Avant notre séjour à Paris, c’était celui d’une voisine. Elle s’appelait Susan, elle était canadienne, et quand elle vous regardait c’était toujours le printemps, une éclosion de myosotis. Nous avons vécu quatre ans côte à côte sans jamais faire advenir ce thé que nous nous étions promis de partager. La vieille glycine qui chevauche les panneaux de treillis séparant nos jardins garde pour moi la mémoire de son nom. Le temps que surnagera le souvenir, elle restera la glycine de Susan, bien qu’aujourd’hui un autre en soit propriétaire et qu’aucun d’eux ne l’ait plantée.

De ma fenêtre je pourrais presque, si l’envie m’en prenait, compter les dômes de mousse accrochés à ce toit, auxquels le reflet givré du matin donne l’air de petites toques de vison. A cette tâche se consacrent déjà les choucas qui nichent dans nos cheminées. Ils vont, penchant leur fabuleux œil clair d’un rang de tuiles à l’autre, satisfaits et bourgeois, peu soucieux d’employer leurs ailes à explorer le monde. Passé midi, une ou deux pies s’invitent pour sautiller le long de la gouttière, et ça fait des bruits de filles en talons qui auraient un peu trop levé le coude, un bruit anglais. Les choucas se retirent alors vers les cheminées et on évite tout à la fois querelle familiale et lutte des classes. C’est que les corvidés, splendides et mal aimés, se plaisent bien chez nous. N’ai-je pas surpris, un matin de retour de l’école, le timide geai des chênes ?

Ce toit moussu, ce mur de briques rouges, j’en perçois la beauté et ne leur veux aucun mal. Mais essayez donc de faire prendre un peu d’essor à la pensée quand trois mètres seulement vous séparent de l’impact ? Cette proximité qui touche à la promiscuité interdit presque de concevoir, par-dessus ce toit, arbre berçant sa palme ou cloche dans le ciel qu’on voit.

Cependant, de la ligne de faîte naissent des nuages qui ce matin filent vers le Nord-est. Entre deux averses, ils consentent à mon brouillard une once de lumière.

 

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