Ma fille est d’une nature opaque et précise. Dès le départ elle suivait une direction par elle seule déterminée. Mue par un sûr instinct, elle clame haut et fort ses besoins et ses dégoûts. Avec elle, on ne reste pas dans le doute. Son plaisir néanmoins requiert la présence active d’un tiers («  a personal entertainer », selon son grand-père) témoin, spectateur, approbateur, admirateur. Elle crie, rit et pleure avec autant d’enthousiasme. Ma fille me ressemble, dehors comme dedans, à cela près qu’elle est plus que moi décidée à être une femme.

Mon fils est d’une nature délicate. La frontière entre nos êtres n’est pas tout à fait dessinée. Il se peut que cela soit dû au fait qu’il est l’aîné : c’est avec lui que j’ai appris à être mère, à travers lui que je conjugue la maternité. Il me semble que je le porte encore, ou qu’il me détermine. Pourtant, mon fils ressemble étonnamment à son père : créatif, indépendant, doué de ses mains, animé d’une vie intérieure riche qui lui suffit et le conduit à jouer seul.

Ma fille est comme une boule, une boule de pétanque, dense et brillante. Elle cherche le contact, aime être tenue au chaud dans vos mains. Quand elle vous roule sur le pied, vous la sentez passer.

Je ne saurais à quoi comparer mon fils. Il tient en un équilibre étrange entre la fragilité et la force, le doute et la confiance, la crainte et le détachement. Sa nature généreuse, attentive, ne se traduit pas dans ses paroles : à qui ne le connaît pas, elles sembleraient pleines d’arrogance, ponctuées de « Bien sûr ! », « Quand même », « Je sais ! ». Médecins et enseignants lui ont assigné une place quelque part dans le spectre de l’autisme, ce qui permet d’excuser son impolitesse par son incapacité à comprendre les codes sociaux et à s’y conformer. J’imagine que beaucoup d’enfants trouvent la politesse artificielle – ayant vécu quelques années en Angleterre, je ne sais plus moi-même comment l’expliquer. Se conformer : ce qui était pour moi naturel restera un défi pour mon fils.

Ma fille aime triturer son frère, parfois le torturer. Sa tendresse envers lui est aussi franche que malicieuse. Elle ne peut supporter qu’il sache s’amuser seul et trouve à ses Lego plus d’intérêt qu’à sa personne.
Mon fils admire sa sœur, sa vivacité, son entrain, et avant tout, sa capacité à convoquer et répandre le chaos. Habitué à ses attaques, il est malgré tout acculé à devoir réaffirmer sa supériorité hiérarchique (« Je te signale que je ne suis pas ton petit frère ! Je suis plus fort que toi ! »). De guerre lasse, suppléant les paroles par trop inefficaces, il s’en remet aux coups. Chaos de nouveau.

Mes enfants sont surprenants, saisissants, éreintants. Vivant à leurs côtés, je me prends à songer , plus que de raison, à ceux qui ne sont pas nés, et qui ne naîtront pas.

4 thoughts on “Les enfants

  1. C’est drôle, malgré toutes leurs différences, mes enfants se “définissent” comme les tiens. Merci de l’avoir écrit. Merci pour ton regard sur le présent aussi.

    Like

  2. Quel regard attentif et tendre d’une mère qui ouvre des yeux clairs sur qui sont ses enfants. Tes mots sont si simples et si précis, si personnels, si charnels en même temps. Je les vois en esprit et j’entends quelques rimes entre vos deux petits, et les deux miennes!

    Liked by 1 person

Leave a comment