Holly Mount Orchard

Voici la semonce de l’été. Il importe peu que ce soit ici une petite ville qui, se dépeuplant de ses étudiants, se prépare à l’assoupissement – banlieues mélancoliques, métropoles trop sûres d’elles, vallons d’herbes et d’oiseaux, l’appel est le même. Le fond de l’air a une odeur de résine et de feu – et le vent, une voix où brâme, grave et distant, l’écho du désert. Je marche dans la rue, le long de jardinets où, sur les dépouilles du printemps (myosotis, feuilles rouillées de jonquilles et de tulipes), bouffent les roses, sous une fine poussière annonciatrice du grand feu d’août. Un coin de volonté est occupé à tenir la corde de l’esprit qui, par les pores et le sommet du crâne, fuit pour jouer au cerf-volant dans le très-vaste bleu. L’ici et le maintenant remontent des profondeurs de notre absence, percent la distraction, dissipent les chimères, décillent le regard – ô surprise, au coeur du présent, c’est l’ailleurs qui nous sourit encore. Ne vois-tu pas comme des jeunes hommes les épaules promettent le large, tandis qu’ils poussent du poitrail comme des voiles au matin, et comme des filles les chevilles prestes jouent un air de rivages en fête ? Même les frêles vieillards, allumettes et mikados, se redressent sous le lin comme au parfum d’un premier amour, et leurs petits pas font poliment la nique à la camarde.
Sur la colline, l’herbe en épis porte une jupe lamée d’or sur des dessous de trèfle pourpre, et des ombrelles de cerfeuil sauvage dont l’odeur de miel s’est affadie (et dire qu’en mai ces fines cendres avaient la gloire impérissable des nuages !). Tours sonores, les marronniers exaltent leurs étages de chandelles, plus solennels qu’une procession de communiants, et voilà qu’autour d’eux tout se croit obligé d’entonner son hymnaire (mais quelques rires fusent sous les ombres). Dans le pré qui mène à l’école, des nappes immenses de pâquerettes, comme mises à sécher par une géante, qui par quelque illusion d’ivresse semblent moutonner jusque sous les yeux et donner le tournis – et peut-être sont-ce leurs rêves blancs qui, projetés in excelsis, dérivent au loin par-delà la cathédrale. Ici, ailleurs.
Or comment se fait-il que devant la porte du cours de danse où j’attends, ma poitrine s’obstrue de larmes, et qu’il me faille faire effort pour comprendre que ce sont les papillons des Cyclades qui reviennent – solstices de l’adolescence, et cet été où agonisa l’enfance : avec mon amie, nous avions marché dans les Monts d’Or, d’où je reviendrais avec une brassée de fleurs des champs dont je ne connaissais pas les noms, et une tristesse à menacer l’âme ? Combien de joie avant cela en ces juins de l’enfance, rêves de marbres et de vagues riantes, d’une Grèce idéale où s’assemblaient des héros, et d’amours intenses et amères ? Il faudrait plus de temps, plus d’acuité que ne m’en offre le quotidien pour entendre, puiser et raconter. Je le voudrais pourtant.

(Après avoir déjeuné avec H, qui ces jours-ci quitte l’enfance à son tour)

6 thoughts on “Semonce de l’été

  1. Les étés de l’enfance, grandioses et magiques, restent en nous mais l’insouciance a disparu, faisant place à l’émotion.
    Que ce texte est beau, Frog, lui aussi grandiose et magique, je crois que je vais rêver à la vallée des papillons que je n’ai jamais vue et à l’herbe en épis qui porte une jupe lamée d’or sur des dessous de trèfle pourpre 🙂

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