Il est trop tard, je dois me lever très tôt. Autrement dit : il ne faut surtout pas commencer à écrire. Comment comprendre le fait que l’écriture ne me vient plus qu’à contretemps, talonnée par quelque autre nécessité qui la presse de céder la place ? J’écris donc à la va-vite, pensant encore moins que d’ordinaire, une manière de manoeuvre de survie. En ce moment, j’ai envie d’une sorte de blog qui serait un vrai blog, un journal, plein d’insignifiances percées de trous de sonde, comme par exemple la trace laissée en moi par cet homme qui marchait à vingt mètres devant, l’autre jour, de retour de l’école. Il faisait beau, et l’élan qui m’a portée vers lui a d’abord été la croyance erronée de l’avoir reconnu : la coupe et le gris des cheveux, la chemise blanche, une élégance dégagée dans l’allure, quelque chose de durablement, d’invinciblement juvénile dans la tournure du corps et le port de tête ont aussitôt évoqué le souvenir de Mr W, un ancien collègue. Assez vite, cependant, je me suis mise à douter : l’homme devant moi était probablement un peu plus grand que Mr W, plus large d’épaules, plus athlétique, la démarche plus souple, féline, et le tout trop crâne, trop conquérant. Non, ce ne pouvait être Mr W, dont le charme – que diable, la séduction – demeurait au moins autant dans la discrétion que dans l’apparence. La réserve dans la virilité m’est absolument irrésistible – voilà bien une confession bête, ma foi, c’est ainsi. Puisque ce n’était pas Mr W, je n’avais aucune raison de continuer de prêter attention à cet inconnu. Nos chemins se sont séparés à l’entrée du champ, enfin du pré, de la prairie, je ne sais jamais comment désigner ce rectangle d’herbe et de ciel ponctué bas par la flèche de la cathédrale, margé de feuillus donnant l’heure des saisons, qui dans ces parages est ce qu’il y a de plus ressemblant à la mer puisqu’au matin en émane la marée de la lumière, et dans lequel, vienne le printemps, on se jette assoiffé et sitôt ivre. Et pourtant je l’ai regardé, depuis le coin des pruneliers, aller de sa démarche dansante d’un bout à l’autre du ruban goudronné qui mène à la ville, et je comprends ce soir la révélation qui me vint : il était en sa chemise blanche comme l’alizé gonflant de sa promesse une voile, et voilà à quoi sont appelées à la fois toute vêture et la chair qui l’anime.
P.S. : mes habits et la chair qui les anime sont loin du compte.
P.P.S. : si mon mari lit ce post, je l’invite à parcourir d’autres articles où il constatera que je mate les femmes aussi bien que les hommes (quoique de nos jours cela ne soit pas forcément pour le rassurer) et que tout cela est dans un esprit de pure recherche artistique, voire spirituelle.
Il eut été dommage que tu n’écrives pas ce billet … J’adore ! Et même si certaines tournures de phrases ne te conviennent pas, c’est léger et savoureux 😊
LikeLiked by 2 people
Merci beaucoup Catherine ! 🙂
LikeLiked by 1 person
Je bois vos textes comme le soleil qui se lève et dont vous avez fait de très belles photos! Merci! Que de sensations. C’est un réel délice.
LikeLiked by 2 people
Merci beaucoup Marine ! 😊
LikeLiked by 1 person
C’est cela aussi l’écriture. Cet allant qui mène à suivre une voile 🙂
Tu habites un très beau lieu. Tes photos du près illuminent de douceur le matin d’ici. Merci.
LikeLiked by 2 people
Merci beaucoup Laurence ! 😊
LikeLike
J’aime décidément beaucoup ton écriture, quelque soit l’angle que tu choisisse (ou que tu choisisse de ne pas choisir). Cette idée d’un blog qui serait coup de sonde et notes insignifiantes me tente aussi, mais je ne crois pas savoir faire ça.
Et enfin, moi aussi, je regarde les hommes aussi bien que les femmes et je crois reconnaitre de parfaits inconnus dont je jalouse l’allure et la vêture (mais leur vêtement sur mon dos seraient illico en berne…)
LikeLiked by 1 person
Si tu écrivais ce blog, j’en serais une lectrice fidèle et enthousiaste ! Chiche ?
LikeLiked by 1 person
🙂 Je peux témoigner en effet que tu reluques aussi les femmes, je me souviens d’un récit qui se passait dans une église, un groupe de femmes, des dos, des nuques qui “parlaient bien mieux que des visages. Ici aussi d’ailleurs, l’homme à la chemise blanche est de dos.
Rien d’insignifiant dans tes notes, tout est dans la manière de dire et dans le sens qu’on leur donne.
LikeLiked by 1 person
Tiens, c’est vrai, je n’avais pas fait le lien entre ces vues de dos ! Chez l’homme à la chemise aussi, bien que je ne l’aie pas mentionnée, la nuque faisait « noeud » d’énergie. Merci beaucoup, je suis toujours touchée et honorée que tu me lises si finement.
LikeLiked by 2 people
Je m’y retrouve aussi. Joli moment.
LikeLiked by 1 person
Merci Victorhugotte !
LikeLike
Il y a des périodes où je crois moi aussi reconnaître des visages familiers parmi des inconnus, j’aime bien cette impression de joie et de doute, malgré la petite déception qui suit.
LikeLiked by 1 person