Traces d’élans morts-nés. Ce blog va changer un peu pendant quelques temps. Puisque les choses insistent à disparaître aussitôt qu’elles apparaissent, je jetterai ici l’écume salie qui m’en reste. De ces élans, les mots auront l’imprécision, sinon l’éclat passager. N’y cherchez pas d’ordre, ni de sens.

Je goûte peu les manquements à la syntaxe. Ils sont rarement aussi novateurs ou surprenants qu’on voudrait nous le faire accroire, et certainement pas révolutionnaires. Ils sont plutôt flemmards, plutôt laids, un air mal débarbouillé. Ce n’est pas parce qu’on ne peint pas comme Rembrandt qu’on est Kandinsky. Mais ici pendant quelque temps je ne vais pas essayer de construire. Si cela se tient en venant, tant mieux. Sinon, je l’écrirai quand même. Mal débarbouillé, donc.

Principe : quand on n’a rien à dire, il vaut mieux se taire. Mais quand on croit avoir quelque chose à dire, sans trouver le moyen ?

Sur le lit. Le livre dans ma main – (ça y est, déjà, je bute). Sur la page où il est question de la guerre de quatorze, lumière d’après-midi de juin. La fenêtre est derrière moi, dans l’angle mort de mon oeil droit. La lumière monte et se creuse sur le feuillet, une houle. Quand cela monte, une musique enfle en moi, sans note, inaudible mais perceptible, venue d’infiniment loin. Oh, encore ces sensations qui débordent des marmites où mijote la tambouille des mauvais poètes ? Si tambouille de poésie rance il y a, j’en suis seule responsable. La source est pure. La sensation est vraie, mais lointaine, du lointain de profondeurs plus qu’intimes. On ne peut trouver la source, elle est gardée. Y toucher n’est pas pour ce temps, pas pour cette vie. La sensation, elle, est céleste. Bleu et or, jusqu’à l’outremer, jusqu’à la fusion solaire, les deux ensemble. C’est une sensation d’ordre mémoriel. Un écho de quelque chose que je nommerai paradis, mais qui reste innommable.

Pour la dire il faudrait une fiction. Un conte, un mythe, un chant. Brise, la fille du roi des vents, habite dans un palais d’albâtre au sommet du ciel, et tout autour dansent les Heures qui érigent un rempart de chants. Le soleil au milieu de sa course vient s’y reposer – une seconde tout au plus – et voilà d’où vient la bouche d’ombre qui gît au coeur de midi. L’énergie créatrice bondit sur les parois d’albâtre et descend en rais d’or sur le monde. Les hommes ne voient pas le palais. Les rais d’or ne parviennent à la plupart qu’à travers tant d’épaisseurs qu’ils ne les connaissent qu’inconsciemment. Mais il y en a qui les reconnaissent. Ils ne savent ce qu’ils signifient, mais savent qu’ils signifient. Une nostalgie monte qui les étoufferait, si l’obscurité de leur chair prise dans le temps ne les protégeait. Ils vivent donc, et vont portant confusément la plaie du ciel.

Mais déjà la fiction s’égare. Je m’égare. Je ne veux dire que cette respiration de la lumière sur la page (été encore timide…), et le très lointain salut qui navigue jusqu’à ma conscience par elle. Par elle, mais en moi. Indicible beauté de cette approche.

20 thoughts on “La plaie du ciel

  1. Quand tu dis “Je goûte peu les manquements à la syntaxe”, tu fais référence à quoi ? Tu comptes écrire… des textes qui relèvent d’un manquement de syntaxe, si je suis bien ce paragraphe ? “je l’écrirai quand même”…

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    1. Je ne compte pas grand chose, je tente de noter sans trop réfléchir. Ma syntaxe sera probablement lâche, donc, ce que je n’aime pas d’ordinaire.

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  2. Or else create a discipline of writing every day, maybe 300 words, without fail (or almost). Then see what comes. You may need to toss it in the waste paper bin, but do not do that for a few days. Maybe a sentence or paragraph there will be worth building upon. If your pen is used to moving across the page, it could be more open to being moved by the forces you wish to work with. But as Dylan Thomas said to his actors for ‘Under Milk Wood’: ‘Love the Words. Love the Words.’ As you clearly do.

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    1. Merci beaucoup Will. Je suis touchée que vous preniez le temps de m’aider. I am not one for discipline when it comes to writing. It dries the flow. Something in me resists like a naughty child. But I will try to be more simple and yes, « love the words » – you (and Dylan Thomas) are so right, that love is the only living root. I think that is part of the problem with the misanthropy to which I am sadly too prone – without love or hope I cannot write anything « alive ».

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  3. Frog, ta princesse Brise (je rêve d’en lire la suite,raconte, raconte encore !) m’a fait songer à l’Approche d’Almotasim ; ce qui se révèle par écho, par ombre, par pellicule, diffus, incertain, inattendu et tordant le coeur d’émotion ; et cet auteur qui joue à critiquer, l’air de ne pas y toucher, l’auteur qu’il a inventé. Et vlan, ni Rembrandt ni Kandinsi, dis-tu mais te voilà que tu te révèle Borgèsienne !
    Que dire encore ? La tambouille des bons poètes diffère-t-elle tellement de celle des mauvais ? Et qui sont-ils, ceux-là qui s’arrogent le privilège exorbitant de se dire mauvais poètes ! Puisque c’est après coup, je le crois, que la chose écrite se décante en poésie ou en autre chose. Le filtre se trouve (je le prouve toutes les semaines) du côté du lecteur, seul apte à savoir si ce qu’il lit est poésie… (oh, parfois, il se berlure, bien sûr… mais que dire de la tambouille des mauvais lecteurs ? De leur filtre bouché ?
    Et puis certes, quand on a rien à dire il est bon de se taire… mais se taire n’interdit pas d’écrire ; alors, s’il te plait, écris sans considération pour la syntaxe, écris sur le jeu des brimborions de lumière sur les pages d’un livre, ne serait-ce que pour le plaisir égoïste de tes lecteurs (hypocrite lecteur, je parle de moi d’abord ).

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    1. Merci Carnets de ton beau commentaire. Il me manque d’avoir lu Borges, je vais m’y mettre. Tu m’en donnes l’envie. Pour la poésie, tu as raison, c’est après coup, même celui qui écrit ne sait vraiment ce qu’il écrit (et même quand ce n’est qu’à lui-même). Parler de bons et mauvais poètes n’a peut-être pas de sens, il y a de bons et de mauvais poèmes, ou encore des textes où la poésie se manifeste et d’autres. Mais toutes les lectures ne se valent pas, à mon avis. Le filtre bouché du mauvais lecteur existe bien.
      Merci de tout cœur de tes encouragements. Si tu as du plaisir alors je n’ai peut-être pas tort de vouloir m’adonner encore à cette chose égoïste de vouloir transcrire qqc qui me semble souvent ne faire sens que pour moi, c’est à dire pour quasiment rien. En tant que lectrice je ne sais pas si j’apprécie les choses que j’écris en ce moment, sans pour autant savoir renoncer.

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    2. Brise est un livre que j’ai eu entre les mains au CM2. Je me souviens des illustrations, des couleurs, mais plus de l’histoire. Je n’ai pas retrouvé la référence.

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        1. Tu sais, j’ai pensé un moment à l’histoire d’une femme qui habite dans un appartement en haut d’une tour sans pouvoir en descendre (mais sans sorcière ni cheveux à rallonge), et je crois que c’est ce livre, Brise, qui en fait me revenait.

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      1. tu me connais, je ne te recommande rien. Borgès ? lis z’en. Et si ça te plait, tant mieux.
        il faut avouer qu’on me l’avait vendu comme le superhyperécrivain du siècle qui règle son compte à la littérature, et (même si c’est vrai d’une certaine façon, la sienne) je ne suis pas à l’aise dans les rencontres arrangées 🙂
        bref, Fictions ? Oui !

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  4. Tu sais, ce n’est qu’un blog. Il sert précisément à la pratique et à l’exercice, préparant l’oeuvre à venir. Soyons modestes, de la modestie de la patience et de la persévérance. J’ai souvent remarqué que quand on a une trop basse idée de soi, c’est qu’on a en miroir une trop haute idée de soi : autrement dit, une trop haute idée de ce qu’on devrait être rabaisse ce qu’on est et, paradoxalement, l’idéal élevé de soi n’aide pas à s’améliorer, car il paralyse l’action.
    Quant aux esquisses, elles ont leur charme, leur syntaxe même. Que désignes-tu par syntaxe exactement ? La construction de la phrase, oui, mais en quoi la tienne ici aurait quelque chose de relâché ? Qu’est-ce qui te gêne ?
    Enfin, je trouve dans ce billet et le précédent une colère qui, certes, n’est pas ta source habituelle d’écriture, mais pourrait l’être un temps. La colère aussi a des choses à dire. Et en général, elle les dit bien.

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    1. Il ne s’agit pas vraiment à mon avis d’image de soi (dans le sens d’un jugement sur ma valeur en tant que personne), plus d’une frustration “technique”, d’une espèce de lassitude, dont je n’arrive pas vraiment à identifier la cause. Je manque peut-être de détermination, et en même temps, je sens (peut-être à tort) que me forcer ne fera qu’empirer les choses. Tout cela reste un problème bien mineur, on est bien d’accord. Que j’écrive ou non, personne n’en mourra, mais cette frustration me reste en travers de l’estomac. Au sujet de la syntaxe, tu sais, j’ai l’impression que la recherche de spontanéité me fera écrire de ces choses qui m’agacent à la lecture, respirations à tort et à travers, ponctuation au petit bonheur la chance, ruptures de construction qui donnent de l’urticaire. Mais au fond c’est une fausse impression, je ne publie quasiment jamais le premier jet, d’ailleurs je n’ai pas de premier jet, j’écris en spirale, en revenant sur l’arrière avant de poursuivre, etc. Tu as raison, ce n’est qu’un blog, mais il n’y a pas vraiment d’oeuvre à venir dans mon cas, en ce moment, le blog est le seul lieu d’écriture.

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      1. Mais si, il y a une oeuvre à venir. Elle n’est pas encore là, c’est tout, puisqu’elle est à venir 😉
        Bien sûr, tu peux dire ta frustration ! Je t’encourage même à la dire. La colère est une source amère mais corrodante, elle trace nettement son chemin. Par exemple, ta description irritée de la syntaxe essoufflée et boîteuse, je la trouve juste et drôle.
        Je ne voulais pas dire que tu manquais de simplicité, mais plutôt tenter de dénouer le noeud en te conseillant simplement d’écrire colère si tu penses colère. Pourquoi justement ne pas parler de la situation en Angleterre ? Du monde, on ne doit pas dire seulement les épiphanies.
        Si tu n’écris pas, personne n’en meurt, certes, mais quelque chose en toi meurt, et ça c’est grave, non ?
        Au fait, moi aussi, je rédige en spirale et même sautillements. 😉

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        1. Je ne crois pas que si j’écrivais sur la situation en Angleterre, cela serait intéressant, on est déjà tous inondés de récriminations, d’accusations, d’indignations – les miennes ne seront pas plus buvables que les autres. Je te remercie de m’aider, et je crois que même si ce n’est pas ce que tu me reproches, je gagnerais à prendre les choses plus simplement, à faire ce qu’il y a à faire sans vouloir faire toujours autre chose. Enfin bon, je relis mon recueil de poèmes, et je n’en suis pas si mécontente aujourd’hui, c’est déjà ça. Ecrire en spirale – je nous imagine montant et descendant sur deux escaliers en colimaçon. 😉

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      2. Et nous tes lecteurs, nous avons toujours plaisir à te lire, avec nos filtres plus ou moins bouchés, nos maladresses, nos mésententes, mais notre bonne volonté 😉 et je suis sûre que nous sommes nombreux à attendre sincèrement tes articles.

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  5. Le commentaire de Carnets paresseux suffit déjà, celui de Joséphine le complète. Chère Frog, des lecteurs enthousiastes devant un talent certain, le tien, il y a et pléthore. Face à une écriture qui emplit un espace à nul autre pareil car autonome, unique, source jaillissante, bruine rafraichissante, cascade de sonorités ! Même si tu ne le veux pas, même s’il te parait fade, incomplet, pas assez, pour nous, cet éclat est et cela fait notre bonheur et notre plaisir . Cela parfois ne suffit pas quand le vide de soi et en soi remplit tout l’espace. Connais-tu la chanson de Goldman,” Puisque tu pars”, ces magnifiques phrases : “puisque nous ne pouvons t’aimer plus”, et “Parce qu’il est des douleurs qui ne pleurent qu’à l’intérieur, puisque ta maison, aujourd’hui c’est l’horizon, dans ton exil, essaie d’apprendre à revenir, mais pas trop tard”. tout est dit. Voilà, nous lecteurs, on t’aime.

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    1. Merci Anne ! Joséphine a raison, je manque peut-être de simplicité, et en même temps, cette frustration que je ressens, il me faut bien la dire. Ce que je ressens n’est probablement pas lié qu’à l’écriture (la situation en Angleterre est à se taper la tête contre les murs – tu vas me dire que c’est le cas dans bien des pays). Je connais cette chanson, je l’ai beaucoup chantée enfant, en pleurant. Je te suis plus reconnaissante de tes encouragements que je ne peux le dire ici. Je te crois sincère, et cela me touche beaucoup, beaucoup.

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