Une réflexion venue il y a plusieurs jours, que j’ai laissé filer et peine à retrouver.
Plongeon dans le champ par matin de soleil.
Octobre défend encore la digue.
L’air est tendre.
Le regard vague, égaré dans les ondes d’une lumière verte, vive, qui s’abstrait à la vue et s’adresse au toucher. Le sommeil tient encore le for intérieur, gardien du silence primordial, et c’est dans la fine couche d’air que le corps déplace à sa surface, comme une aura, que vibre ce qui demeure d’attention. Le champ moutonne et roule, ample, montant à hauteur d’yeux avant de se creuser de nouveau, scintillant d’une rosée qui imite le givre. L’univers tient entier en une couleur : vert.
Alors s’ébroue la pensée, et commence à s’ajuster la lunette par où le monde gagnera en précision ce qu’il perdra en dimension et en présence. Un très furtif instant, l’esprit perçoit. Entre la nappe de lumière indifférenciée antérieure à toute démarcation (à toute définition) et la vision précise de brins d’herbe individuellement habillés du prisme de la rosée, quelque part en amont de l’instant où le monde devient préhensible, il y a une embrasure.
Une ouverture.
Inutile de tenter d’ajuster la lunette à rebours, cette brèche demeurera introuvable. Elle ne se révèle que dans le mouvement premier de l’éveil, en passant et de biais, et l’esprit ne peut la faire se tenir immobile sous la lamelle de son microscope. Bien des réalités sont inaccessibles à un tel examen et ne s’appréhendent que dans l’élan, par une forme d’abandon. Le langage du monde est de nature rythmique. Nous y participons par tous les flux de notre corps, liquides, gazeux, chimiques, électriques, spirituels, au sens propre.
L’âme est flamme, est souffle.
Je connais cette ouverture, furtive… un basculement, ténu mais sidérant de clarté. Le reste de la journée en est toujours pour moi teinté de nostalgie .
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Oui ! Autrefois, j’éprouvais comme toi cette nostalgie déchirante. Depuis peu, la perception de cette brèche ne semble plus induire, ou semble moins induire, cette nostalgie. Je ne sais pas si j’ai gagné ou perdu au change.
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Je pense que ce que tu dis de la joie milite pour le gain 🙂
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Mais je dirais comme tu le suggérais qu’au fond il n’y a pas de hiérarchie, simplement deux possibilités.
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Tant de trésors dans ce texte ! L’attention comme une vibration par friction entre le corps et le monde, la perception comme une faille entre la dimension et le détail, la vision aveugle et voyante des marges… Moment familier à tous je pense, mais que toi seule sait rendre avec cette précision lumineuse et délicate.
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Merci Joséphine ! Mais c’est toi qui trouves les mots parfaits : “vision aveugle et voyante des marges”.
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Beau souffle…
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Merci Laurence.
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“Bien des réalités sont inaccessibles à un tel examen et ne s’appréhendent que dans l’élan, par une forme d’abandon.” = oui. Exactement. Je crois que beaucoup de textes naissent de ce désir d’appréhender ces perceptions fuyantes. C’est autre chose qui nait, le texte échoue à son but premier mais offre autre joie, autre élan. Fertiles franges.
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Je me rends compte que mon commentaire laisse à penser que ton billet n’a pas saisi cet instant. Ce n’est pas ce que je voulais dire. Je voulais dire que tu as su en saisir le caractère fugace, sans épuiser le miracle de cette “embrasure”. Tes mots sont d’ailleurs superbes!
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Merci Clémentine, et ne t’en fais pas, je n’avais pas lu de critique négative dans ton premier commentaire (ce que tu aurais d’ailleurs tout à fait le droit d’exprimer). Tu as raison au sujet de ces “fertiles franges”, à vrai dire tu embraies sur un autre sujet à partir de mon texte, en faisant le lien avec l’écriture. Peut-être est-ce ma phrase d’introduction qui conduit à l’idée d’un texte qui manque son intention première.
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Oui ,c’est vrai je que je sors du sujet. Mais en même temps, de la perception de l’insaisissable nait souvent le désir de saisir, en écrivant…
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Oui, tout à fait !
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Nous avons toutes deux eu envie/besoin, aujourd’hui de dire une forme d’éveil, un moment frontière. J’aime bien cette coïncidence!
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L’embrasure qui apparaît comme vient comme l’intuition, furtive et irreproductible. La joie d’une illuminations qui nous embrase quand elle est là et dont le souvenir même nous rend heureux, au delà de la peine que sa disparition nous cause.
Ces miracles sont tellement beaux ! Merci, Frog, d’avoir su rappeler leur émotion.
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🙂
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