Voici un billet que j’ai dans le cœur depuis bien longtemps et comme souvent dans ce cas-là, je ne sais par où commencer. Mais puisqu’en toutes choses, ou presque, la voie de la simplicité semble la meilleure, c’est encore celle que je vais adopter aujourd’hui.
J’ai entre les mains Un récit, de Chloé Landriot. C’est le numéro 174 de la collection Polder, une publication liée à la revue Décharge que les lecteurs de poésie contemporaine un peu curieux connaîtront. En faisant un tour sur leur page internet, je remarque d’ailleurs qu’y figurent un autre numéro de Polder et quelques haïkus de Marie-Anne Bruch, dont je suis le blog avec reconnaissance – le sens de l’émerveillement à jamais redevable à celles et ceux qui partagent leurs lectures poétiques avec la sobriété de la générosité.
Je connais Chloé depuis l’hypokhâgne. Venue de Saint-Etienne (ville verte 😉 ), elle occupait dans l’internat du vénérable Lycée du Parc, à Lyon, la même thurne qu’une amie d’enfance à laquelle je suis attachée par toutes les brûlures de la beauté découverte à deux. Je puis ainsi dire que Chloé écrit des poèmes depuis longtemps, et que depuis longtemps je les aime et les admire. En essorant un peu mon esprit argileux, je pourrais tenter de mettre en mots ce qui, dans son écriture ou ma lecture, justifie cette prédilection – il ne s’agit pas d’amitié, qui seule ne me ferait pas écrire cette présentation. Je pourrais souligner, par exemple, que c’est une poésie exigeante – non, pas de celles qui se retranchent dans une obscurité suspecte ou un hermétisme stérile, mais au contraire, d’une clarté qui ne s’atteint qu’à travers le feu où se consument les scories décoratives et mensongères. Ajouter qu’elle parle de l’amour comme personne, et des arbres comme je voudrais savoir le faire. Que, si vous avez l’heureuse curiosité d’y pencher votre regard, c’est à une fabuleuse création du monde que vous assisterez.
Mon jugement paraîtra peut-être biaisé ; remettez-vous en alors à celui de Jean-Pierre Siméon (excusez du peu !) qui écrit dans la préface :
Il y a dans Récit une ambition, un souffle, une largeur de vue et une élévation de la langue dans un lyrisme assumé et dominé comme on en lit peu dans ces temps de parole contrite. Pensez donc, il s’agit de rien moins que de retracer la genèse du monde et de l’humanité depuis l’initial et mystérieux surgissement du vivant dans les noces de l’eau et de la lumière ! Le poème de Chloé Landriot, rappelant l’origine, objectant à la perte, est un acte de foi dans la vie, courageux et intempestif : nous en avons besoin.
Dans un tel poème, il m’est douloureux et presque impossible de trancher et d’extraire, tant chaque strophe naît organiquement de la précédente et donne naissance à la suivante, croissance continue épouse de la vie. Je le fais pourtant et, cela ne vous surprendra pas, vous livre quelques strophes consacrées aux arbres.
***
Vint la vie végétale
Fragile et têtue
Confiante sans espoir
Sûre
De ses racines
Sans souci du ciel.
(…)
Entre ciel et terre
L’arbre se tient
Ouvert aux quatre vents
Aux cents sucs de la terre
Aux mille venelles des eaux capricieuses
Le chemin de ses racines
Est complice des roches
Et possède en secret leur ingénue lenteur
Le port de ses rameaux
C’est la route des eaux dans la route des airs
Il faut tant de chemins
Parcourus sans relâche et sans hésitation
Pour qu’un arbre s’élance.
Nous avons été des arbres
Et le temps pour nous n’avait pas la même couleur
De notre apparition il n’est nul souvenir
Nul ne dit notre histoire
Pourtant chacun la sait au plus profond de soi
(…)
Nous avons été nourris
Dans le mystère
Du corps à corps
Puisant avec vigueur dans le sein de la terre
Aspirant goutte à goutte
De toute notre force
Lente et inexorable
Le suc d’entre les roches
Nous avons été nourris
Dans le mystère
Du ciel intact
Accueillant dans la transparence de nos feuilles
Ce qui de la lumière
Peut étoffer un corps
Et le rendre plus beau
Lumière – nourriture
(…)
Et nous ne dormions pas
Car nous sommes aussi les enfants de la nuit
Sans peur et sans tristesse
Capables d’accueillir ses mille chants secrets
Sans en rien dévoiler au jour
Fidèles
Relais de son amour
Et nous le redonnions –
Fraîcheur, parfum, ombre dense –
Mêlant dans notre sève
Les eaux de la nuit courbe et le feu du ciel blanc
Mêlant dans notre sève
Les deux amours.
(…)
Nous avons été des arbres
Et tu fus parmi nous
A présent
Déracine ton ombre
Porte haut le feuillage des années sans nom
Et marche.
***
Voici la présentation de la collection Polder. Vous pouvez vous y abonner ici ou m’indiquer dans les commentaires votre éventuel désir de vous procurer le recueil.
L’image d’en-tête est l’illustration de couverture, et l’oeuvre de l’artiste lyonnaise An Sé.
Chère Rainette, j’aimerais me procurer le recueil de ton amie l’arbre. Outre ses vers qui ont su courir dans mes veines, je sens dans mes pieds les racines qu’ils ont été. L’histoire me parle. Quelle sagesse, sans en avoir l’air, sur la sobriété de la générosité : en effet, la vraie générosité n’est pas dans le trop, le débordement, mais dans le retrait et la retenue pour laisser exister ce qu’elle donne et encore plus à qui elle donne. Le blog que tu mentionnes est aussi une de mes promenades préférées. Sur ce, à la prochaine pluie, qui en nos pays gris ne saurait tarder, ta Reinette.
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Ma Reine,
Quelle joie de recevoir si jolie lettre ! La pluie est arrivée, comme tu l’avais prévu. Je m’en vais de ce pas porter ta requête à l’arbre. Le temps de traverser le marais, d’écouter l’oracle du vent dans les feuilles et de revenir, la saison aura peut-être tourné, mais je te sais toute patience.
A toi dévouée,
Rainette.
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Comme une respiration… Mots inspirés…
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Je suis séduite par les strophes de Chloé Landriot, j’aimerais beaucoup me procurer ce Polder !
Merci beaucoup de me citer, je suis honorée que vous aimiez mon blog 🙂
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🙂 Merci à vous de tous ces poèmes ! L’effort que vous fournissez à poursuivre ce blog fait vraiment une différence ! Je reviendrai vers vous au sujet du Polder, à moins que vous ne soyez déjà abonnée ?
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Je suis abonnée à la revue Décharge mais pas à Polder … D’accord j’attendrai que vous me fassiez signe 🙂
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Ah, je vois que Chloé Landriot a commencé cet article plus bas, avec les détails pour se procurer son recueil. Je vous en souhaite bonne lecture ! 🙂
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Quel beau poème ! Mais quel bel écrin vous avez
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Le téléphone à une main, quelle prétention ! C’est l’élégance de l’écrin qu’après avoir dit la beauté du poème, je voulais souligner.
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Merci Aldor, pour Chloé et pour moi. 🙂
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Des vers épurés et alertes qui touchent l’essentiel… vraiment c’est magnifique!
Je veux bien un peu plus de cette eau pure, de cette voix donnée aux arbres. Je comprends que cela te bouleverse, et ta présentation est d’une très belle délicatesse.
Tu dis que la vraie générosité est sobre, tu en es l’exemple et c’est très beau, bien que j’aime aussi la générosité touffue!
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Quand je dis que j’en veux bien un peu plus, cela signifie que je commanderai le recueil si cela est possible.
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Merci Clémentine ! 🙂
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Bonsoir Clémentine, un petit mot pour te dire que Chloé vient de commenter plus bas avec les détails pour se procurer son recueil. J’espère qu’il te plaira ! 🙂
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Je vais regarder! Super! Je viens de découvrir aussi un guide pour choisir des hommes assortis à nos sacs à main par Nadia Bourgeois (essentiel, n’est-ce pas comme guide! 🙂 ). Autant te dire que ma fameuse “PAL” dont on parlait une fois s’allonge et se diversifie, sachant que je n’ai pas lu encore l’Antigone de Bauchau, ni le recueil de Joséphine! Chouette, chouette, l’été sera beau (et les enfants au centre aéré)! Merci Quyên pour la belle trouvaille…
En échange: toi qui aimes les paysages et les plantes, je suis en train de lire L’archipel d’une autre vie, d’Andréï Makine: cela te plairait, je crois.
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Des hommes assortis à nos sacs à main ??? C’est que… j’ai beaucoup de sacs à main…
Pour la PAL, je préfère ne pas te décrire la mienne. J’avance au rythme de deux pages par jour dans le pourtant superbe “Et la lumière fut” de Jacques Lusseyran. Merci de ta recommandation, je prends note. 🙂
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Merci à vous tous ! D’abord merci à Quyên pour ce blog (que je suis sans en avoir l’air, mais je lis presque tout). Depuis le début, c’est ce blog qui m’a rattachée au fil de l’écriture et qui m’a fait revenir à des aspirations que la maternité et la vie professionnelle avaient enfouies sous d’épaisses couches de fatigue et de savoir-raison-garder (écrire, c’est plus de ton âge, tu as un travail sérieux et une lessive à étendre ce soir).
Et merci à tous ceux qui ont pris le temps de commenter. Si mon texte peut vous rencontrer, il aura bien de la chance.
Une des façons possibles de se procurer le recueil, si vous ne pouvez contacter Quyên directement, c’est de s’adresser ici :
Gros Textes
Fontfourane
05380 Châteauroux-les-Alpes
04 92 43 23 03
gros.textes@laposte.net
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“(écrire, c’est plus de ton âge, tu as un travail sérieux et une lessive à étendre ce soir).” Cette phrase se balade aussi dans ma tête… Quant à la pureté ondoyante de vos vers, j’en veux davantage! Je vous envoie un mail 🙂
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Depuis cette découverte, ce matin, mon monde en est tout chamboulé. Merci.
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😊
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