Mon fils et moi rentrons du cours de piano. Les arbres se réveillent. Un chant nous arrête en pleine rue. It’s a blackbird, dit mon fils. Nous levons la tête et devinons à contre-jour, perché au sommet d’un vieux platane, quelques étages au-dessus d’un gros pigeon, le chanteur amoureux. C’est l’ouverture officielle du printemps.

En attendant les lettres de refus des éditeurs, je me suis lancée dans un nouveau projet de roman avec l’enthousiasme des innocents. Je me suis amusée à imaginer le plan du jardin du personnage principal (où vous verrez que je ne sais pas dessiner et que mon sens des proportions n’est pas sans rappeler Numérobis, l’excellent architecte d’Astérix et Cléopâtre).

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J’aimerais que mon mari, qui lui en est capable, me fasse un meilleur plan, et surtout un dessin qui donnerait une idée du dénivelé. L’arbre chevelu du coin Sud-Ouest a été dessiné par mon fils et est censé représenter un saule pleureur. Je le laisse pour lui faire plaisir, même s’il s’accorde mal avec le chêne d’à côté.

Seulement voilà, depuis quelques jours, Mister Black me picore l’arrière de la tête – c’est que je lui avais promis une tentative de poème.

Mister Black est le merle de mon jardin de Canterbury. Lui présenterait sans doute les choses autrement, dirait qu’il m’a tolérée quelques années sur son territoire, que je lui faisais pitié, fille des villes pour qui la terre n’était encore qu’un agrégat de minéraux et de choses mortes, une poussière dépouillée de ses ailes, juste bonne à tacher les habits et, contrairement à l’eau ou à la lumière, un non-élément, tout au plus une toile de fond. Vie antérieure. Pour ma défense, je répondrai que lorsque les encouragements de mon beau-père, fin jardinier, et l’inconscience me firent me saisir de la fourche, je fis rapidement la preuve de mon utilité, dérangeant bien plus de vers de terre qu’il n’était nécessaire. Ayant alors trouvé un intérêt à me tenir compagnie, Mister Black se mit à surveiller de près mes efforts, me pressant de battre en retraite pour le laisser prendre son déjeuner en paix. A ce petit jeu, on finit par s’entendre. Il ne tenta jamais sur moi l’attaque qu’il lança sur la voisine – au cri qu’elle poussa, je crus qu’elle s’était blessée, c’est si vite arrivé avec des outils de jardinage qui traînent. Il s’avéra que Mister Black lui avait tout bonnement sauté à la figure, sans l’ombre d’une hésitation. La négligence de ma voisine était bien en cause, mais ne portait pas sur les outils : elle avait eu l’imprudence de s’aventurer trop près de son nid. Le printemps n’était pourtant qu’explosion d’avertissements…

Me reconnaîtra-t-il quand je reviendrai, l’été prochain ?

Je ne sais pas si le poème finira par se manifester, mais Mister Black ne manquera pas de faire une apparition dans mon nouveau texte. 🙂

P.S. : La photo d’en-tête est d’un prunellier (blackthorn) au Parc de Sceaux. La raison ?

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12 thoughts on “Mister Black

    1. C’est vrai ! Vous décrivez bien cette façon de dire les choses comme de la bouche d’un enfant. A part ça, pour le dessin, c’est vilain de se moquer ! 😉

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      1. Ah mais je ne me moquais pas, un peu taquine je l’admets, mais j’admire votre souci de (re)construction et si je parlais du ciel c’est que je travaille justement sur un lieu pour une nouvelle, une crique plus précisément, ce qui la caractérise n’est pas tant l’espace balisé au sol mais l’espace sans repères entre terre et ciel. Tout ça pour dire qu’en voyant votre dessin j’ai pensé à vous imiter tout en me demandant comment rendre compte de l’espace vide.

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        1. Comme il fallait que les déplacements de mon personnage soient cohérents, et que je suis incapable de retenir quoi que ce soit si ce n’est pas écrit (comme de penser sans écrire, d’ailleurs), j’ai été contrainte de dessiner ce plan. J’attends avec impatience un billet de blog sur la problématique que vous venez de décrire ! Votre crique, où se trouve-t-elle ?

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          1. Tiens, moi non plus je ne peux pas penser sans écrire. Comme si les caractères étaient des crampons pour gravir et avancer, sinon je flotte, ou m’embourbe, selon l’humeur.
            La crique est une fusion imaginaire entre plusieurs criques de Sardaigne (à l’inverse de vous, je ne puis écrire que sur l’imaginaire !)

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              1. Pardon pour le délai de réponse ! Un départ dans un ou deux mois, je dois récolter des informations avant, de quoi dessiner une carte que sûrement je perdrai en route. Merci pour votre attente qui encourage l’expédition 😉

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                1. Ne vous excusez pas, nous avons tous à faire ! Votre carte perdue en route me fait penser à ma tentative de synopsis pour ce nouveau roman, qu’au bout de cinq pages je ne respecte déjà plus… Bonne récolte d’informations, et à bientôt ! 🙂

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  1. Je vois que l’une et l’autre mettez en plans les décors de vos romans et nouvelles.

    Cest intéressant que vous fassiez ça. Du temps où je m’essayais à la littérature, jamais je n’avais fait ça.

    Dans mon esprit, le plan renvoie à la littérature policière ou à l’Oulipo. Et je me rends compte, écrivant cela, à quel point c’est réducteur.

    Bonne soirée.

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    1. Pour moi c’est la première fois. Pour mon premier texte je suis vraiment partie à l’aveugle. Mais pour les lieux, j’ai utilisé une ville que je connais, Toulon. Est-ce que vois écriviez des romans ?

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    1. Je suis d’accord que tenir la distance est un problème. En ce moment, je ne travaille pas. Je sais que si j’étais à l’école, je n’écrirais pas “à côté”. En tout cas, ce serait très difficile… Merci pour le compliment. De mon côté, j’aime beaucoup écouter vos improvisations ou en lire les résumés. Ce sont d’excellentes amorces de vagabondages pour la pensée !

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