Nous avons eu quelques jours de beau temps et j’ai passé du temps au jardin. Les lys d’or de mon fils commencent à fleurir, les alliums Christophii dardent leurs étoiles mauves au-dessus du petit érable Shirawasanum, et j’ai des edelweiss qui s’épanouissent au soleil (c’est mal, je le sais, autant que les oliviers que mes voisins et amis s’obstinent à faire pousser au soleil chétif de l’été anglais). On réussit même, de temps en temps, à cueillir une fraise avant que les insectes, les limaces ou les oiseaux ne l’entament.

L’autre jour, en explorant de nouveau les jardins de Mount Ephraim, je me suis dit qu’ils étaient probablement mon endroit préféré à Canterbury. Le gracieux jardin japonisant lové autour de sa source cascadant, les parterres anglais étouffant de roses, de pavots, de lupins et de delphiniums bleus, les recoins un peu sauvages autour du lac aux eaux sombres, sous les feuilles gigantesques de rhubarbes d’un autre âge, une barque sous un saule, le silence. Les rhododendrons perdent leurs dernières fleurs dans la pénombre du petit bois. Près de l’étang se dressent les hautes plumes blanches d’une astilbe majestueuse favorisée par la liberté et la proximité de l’eau.

Mais le mieux, le mieux, c’est l’arboretum, sur la colline. Y monter seule depuis le petit bois, et déboucher au soleil, parmi les herbes hautes sous la brume mouvante de leurs tiges fleuries, et entendre le chant des arbres. C’est le sommet de la colline, et on devine dans les champs alentour la présence paisible des moutons. Quelque part dans les plis de la mémoire tressaille le souvenir d’une marche dans les Alpes du Sud et du parfum des herbes frôlées au passage. Comment aurais-je su que je vivais alors les meilleurs moments de ma vie ? Il n’y avait rien que de très ordinaire à des vacances dans le Sud en famille.

Il y a des souches où l’on peut s’asseoir pour profiter du paysage. Si on quitte un peu le chemin et se fraie un passage entre les herbes, on peut chercher les noms des arbres suspendus à l’une de leurs branches sur des plaquettes de métal. Début juin, Catalpa Aurea ressemblait, parmi les eucalyptus bleus, à un monceau d’or. Cornus Kousa chinensis portait ses larges fleurs blanches comme une mariée. Ou comme d’élégants mouchoirs dépliés. Tout était si beau, si beau. Vaste et vivifiant comme sur une montagne, mais tendre comme un soir à la campagne.

Et pourtant la mort est assise à votre chevet, et elle ne me laissera peut-être pas le loisir de vous revoir. J’ai imaginé une prière, un poème, mais rien n’avait vraiment de sens. Si vous le pouvez, attendez encore un peu. Je vous sais paisible, bien qu’un peu indigné, ni impatient, ni révolté. Autour de vous la paix se fait. Moi je ne suis personne, je ne suis pas de la famille, mais je voudrais bien vous revoir. Je ne suis personne, mais je vous aime, je vous aime depuis longtemps.

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